www.affairesuniversitaires.ca / janvier 2014 / 13
biologiste victor lieffers affirme qu’à ses débuts
dans le programme de foresterie du département des
ressources renouvelables de l’Université de l’Alberta,
en 1983, ses étudiants étaient faciles à repérer. « À
l’époque, la plupart étaient de jeunes hommes blancs
des régions rurales, portant la barbe, une chemise
à carreaux et des bottes de travail », se souvient en
riant M. Lieffers, expert en aménagement forestier. Il
ajoute que les étudiants en foresterie étaient alors très
nombreux – jusqu’à 250 par année au premier cycle, en
plus d’une cinquantaine aux cycles supérieurs.
Aujourd’hui, selon M. Lieffers, il serait difficile de repérer les futurs
forestiers sur le campus. D’une part, ils sont beaucoup moins nombreux :
l’effectif du programme a chuté de 80 pour cent en 30 ans, atteignant un
creux historique de 40 étudiants au premier cycle en 2008-2009.
D’autre part, la composition du corps étudiant en foresterie a aussi
évolué. « Nous comptons désormais plus de femmes, de jeunes des mi-
lieux urbains et d’étudiants issus de groupes ethniques divers, surtout
d’Asie, précise M. Lieffers. On voit encore des chemises à carreaux, mais
la foresterie n’est plus une monoculture. »
Selon lui, la diversité et la lente remontée de l’effectif, jusqu’à 50 étu-
diants l’an dernier, sont attribuables au nouveau programme d’études et
à l’arrivée de passionnantes nouvelles perspectives de carrière non tradi-
tionnelles. « Nous tentons de faire valoir que la foresterie ne vise pas
seulement à couper des arbres, qu’il s’agit au contraire d’une formation
équilibrée, multidisciplinaire et polyvalente aux excellentes perspectives
d’emploi, explique M. Lieffers. Le message semble enfin passer: les fo-
restiers sont des spécialistes de l’aménagement du territoire, pas seule-
ment des bûcherons. »
La plupart des doyens et des professeurs en foresterie des six autres
universités canadiennes qui offrent le baccalauréat et la maîtrise dans
le domaine seraient sans doute d’accord. « La matière enseignée, les
cours que suivent nos étudiants et leurs perspectives professionnelles
ont beaucoup évolué », affirme John Innes, doyen de la plus grande
faculté de foresterie du Canada, celle de l’Université de la Colombie-
Britannique (UBC).
Natif de l’Écosse et diplômé de l’Université de Cambridge, M. Innes
est un expert de l’aménagement durable des forêts. Il travaillait en Suisse,
dans un bureau de recherche en foresterie, lorsqu’a éclaté la crise au sujet
de la coupe des cèdres géants de Clayoquot Sound, sur l’île de Vancouver,
au milieu des années 1990. Les blocus et les arrestations ont à l’époque
fait les manchettes internationales, ternissant l’image de l’industrie
forestière canadienne et déclenchant des débats publics, des changements
de politiques ainsi que l’interdiction pure et simple de nombreuses pra-
tiques de coupe traditionnelles.
« J’avais vu de mauvaises pratiques d’aménagement du même genre
ailleurs dans le monde, se souvient M. Innes. J’ai pensé que si je voulais
aider à former les forestiers de l’avenir selon les méthodes modernes, la
UBC était l’endroit idéal. »
À son arrivée à Vancouver en 1999, M. Innes a été surpris par les visées
traditionnelles et étroites des normes universitaires et des programmes
d’études en foresterie au Canada. « Les gens semblaient ignorer ce qui se
passait à l’échelle internationale en matière d’ententes d’aménagement
durable des forêts et de protection de l’environnement », fait remarquer
M. Innes, dont la faculté est l’une des deux seules au Canada à offrir un
programme de doctorat en foresterie (avec l’Université de Toronto).
Les cours offerts, ajoute-t-il, « ne correspondaient pas aux nouvelles
conceptions de la gestion des ressources et aux compétences dont ont
besoin les forestiers modernes pour relever les défis qui se posent sur le
terrain ». Par exemple, en 2001, 40 pour cent des étudiants au premier cycle
en foresterie à la UBC étaient inscrits en aménagement forestier, un programme qui aborde les notions traditionnelles d’exploitation forestière,
de sylviculture et de science du sol. Or, l’industrie cyclique des produits
forestiers connaissait à l’époque un déclin monumental.
Sur la côte Ouest, devant la force du dollar canadien et le conflit
du bois d’oeuvre qui opposait depuis une génération le Canada et les
États-Unis (le principal marché d’exportation canadien), des scieries
fermaient leurs portes et des mises à pied massives étaient effectuées. La
même situation prévalait dans le centre et dans l’est du Canada. La mon-tée des publications Web, combinée à la concurrence des pays des zones
tempérées, où les arbres poussent beaucoup plus vite, ont entraîné une
importante baisse de la demande de papier journal canadien, une chute
des actions des entreprises canadiennes de produits forestiers et la fermeture d’usines de pâtes et papiers.
« Les parents disaient à leurs enfants de ne pas étudier en foresterie,
car le secteur était en déclin, dit M. Innes. Mais j’aime bien rappeler aux
gens qu’après la tempête vient toujours le beau temps. »
La première éclaircie a eu lieu lors d’un sommet national sur le re-
crutement en foresterie, tenu à Ottawa en juin 2005. L’événement a réuni
des représentants du Conseil canadien des ministres des forêts, de l’Institut
forestier du Canada et de l’Association des écoles forestières universitaires
du Canada. Cette dernière représente huit facultés de foresterie et fournit
une plateforme de coopération et de partage d’information, de contenu de
cours et de personnel.
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« Les parents disaient à leurs enfants de ne pas étudier
en foresterie, parce que l’industrie était en déclin.
Mais j’aime bien rappeler aux gens qu’après la tempête
vient toujours le beau temps. »